Faut-il craindre les mouvements de contestations ? : Un islam politique varié émerge du "Printemps arabe"


Libé
Jeudi 27 Octobre 2011

Faut-il craindre les mouvements de contestations ? : Un islam politique varié émerge du "Printemps arabe"
La démocratie naissante dans les pays du "Printemps arabe" fait émerger un islam politique aux contours variés, sans que l'on puisse tirer de conséquences des déclarations de certains dirigeants sur la charia ou la place de la religion dans les affaires publiques. Les bons résultats du parti Ennahda aux élections tunisiennes de dimanche et l'importance accordée à la charia, le même jour, par Moustapha Abdeljalil, le président du Conseil national de transition (CNT) libyen, illustrent le poids des islamistes après la chute de régimes autocratiques qui les ont longtemps opprimés. Ces islamistes doivent désormais trouver le moyen d'intégrer leurs principes religieux dans les institutions démocratiques censées émerger des révolutions. De nombreux termes du débat sont toutefois ambigus et certains, en particulier la notion de charia (la loi islamique), sont souvent mal compris par les non-musulmans. Jan Michiel Otto, professeur néerlandais de droit ayant récemment dirigé une étude sur l'application de la charia dans 12 pays musulmans, souligne que l'islam politique recouvre une grande diversité d'approches. "Quand la charia est introduite, on ne sait pas ce que cela donne", dit ce professeur à l'Université de Leyde, responsable de l'ouvrage Sharia Incorporated. Son étude montre que, contrairement à ce que pensent la plupart des observateurs occidentaux, plus d'islam ne signifie pas nécessairement moins de liberté. Le sociologue turc Yasin Aktay, de l'Université Selçuk à Konya, affirme pour sa part que la charia n'a pas de définition juridique précise et qu'elle ne se limite pas aux châtiments corporels infligés en Arabie saoudite et en Iran. "C'est une version fétichisée de la charia", dit-il. De nombreux pays arabes disposent à la fois d'une Constitution proclamant l'islam religion officielle et fondant la loi sur la charia, et des codes civil et pénal inspirés par les modèles occidentaux.
Hormis l'Arabie saoudite, qui ne connaît que la loi islamique, les pays du monde arabo-musulman appliquent un mélange complexe de droit religieux et civil. La charia peut être appliquée de manière assez symbolique dans un pays, modérée dans un autre et stricte dans un troisième. Ennahda, arrivé en tête des élections pour une assemblée constituante en Tunisie, va être le premier parti islamiste du "printemps arabe" à devoir préciser la nature des relations qu'il souhaite établir entre droit et religion. Il dit respecter les principes démocratiques et les droits de l'Homme. Il a aussi exprimé le souhait de collaborer avec les partis laïques pour rédiger la future Constitution tunisienne. Son chef, Rachid Ghannouchi, prône un islamisme modéré à l'image de celui appliqué par le Parti de la Justice et du Développement (AKP) au pouvoir en Turquie. La Constitution tunisienne appelée à être remplacée déclare l'islam religion officielle mais ne fait pas référence à la charia en tant que fondement du système juridique. Etant donné la forte tradition laïque du pays, Ennahda risque de se heurter à une vive opposition s'il tente d'imposer la charia comme source d'inspiration de la loi. Yasin Aktay rappelle que les écrits de Rachid Ghannouchi dans les années 1980 ont contribué à influencer les islamistes turcs et à les faire entrer dans le jeu démocratique. Désormais, la réussite de l'AKP en Turquie sert de modèle au chef de file des islamistes tunisiens. D'après certains de ses proches, Rachid Ghannouchi ne s'oppose pas à l'arrivée d'une femme ou d'un non-musulman à la tête de l'Etat car il accorde la primauté à la citoyenneté sur la religion. "Les salafistes, les wahhabistes, et même certains Frères musulmans n'aiment pas ce type et certains pourraient même dire que c'est un kafir (apostat)", dit, sous le sceau de l'anonymat, un ami égyptien de ses années d'exil à Londres.
Ce dernier affirme que Rachid Ghannouchi est l'auteur des meilleures critiques du wahhabisme, une forme stricte de l'islam sunnite appliquée en Arabie saoudite, ce qui lui vaut de ne plus être invité à la Janadiriyya, un colloque annuel d'intellectuels organisé par les Saoudiens. Mohsen Al Aouadji, un intellectuel saoudien débattant régulièrement avec Rachid Ghannouchi, se souvient que les autorités saoudiennes ont un jour refoulé ce dernier alors qu'il venait pour le pèlerinage de La Mecque. En Egypte, où des élections législatives doivent avoir lieu par étapes à partir de fin novembre, l'islam est religion d'Etat et il est constitutionnellement la source principale du droit. Les Frères musulmans sont les favoris du scrutin législatif. Ils ne sont toutefois pas parvenus à regrouper l'ensemble de la mouvance islamiste au sein de leur Alliance démocratique, des mouvements plus libéraux ou plus radicaux ayant fait sécession.
"Je ne pense pas que les Frères obtiendront plus de 25% des sièges, ce qui représente un bloc important mais pas une majorité", prédit Hassan Abou Taleb, du Centre Al Ahram pour les études politiques et stratégiques. Les autorités intérimaires en Egypte ont laissé plusieurs organisations salafistes concourir aux élections. Les salafistes, qui, selon Abou Taleb, pourraient recueillir jusqu'à 10% des suffrages, prônent une application stricte des principes islamiques, dont certains, disent leurs détracteurs, sont incompatibles avec la démocratie. En Libye, le dirigeant déchu Mouammar Kadhafi gouvernait par des décrets qui faisaient référence à l'islam en tant que religion officielle et à la charia en tant que source d'inspiration de certaines décisions.
 Certains dirigeants occidentaux ont été surpris d'entendre dimanche Moustapha Abdeljalil affirmer que la charia serait la source du droit en Libye. Le chef du CNT l'avait pourtant déjà affirmé de manière plus détaillée. "Nous souhaitons un Etat de droit, un Etat prospère et un Etat dans lequel la charia est la source principale de la législation et cela nécessite beaucoup de choses et de conditions", a-t-il déclaré début septembre, ajoutant que "l'idéologie extrémiste" ne serait pas tolérée. La place de la charia dans la législation libyenne ne sera déterminée qu'une fois la nouvelle Constitution rédigée et approuvée par référendum. Les Frères musulmans de Libye comptent moins d'un millier de membres car leur recrutement était secret et réservé à une élite du temps de Mouammar Kadhafi, dit Alamine Belhadj, membre du CNT mais aussi de la confrérie islamiste. La Syrie, où Bachar Al Assad est confronté depuis mars à un vaste mouvement de contestation, dispose d'un gouvernement laïque. Sa Constitution mentionne toutefois l'islam comme source du droit. Le Conseil national récemment formé par les opposants s'est pour l'instant doté d'un secrétariat général de 19 membres, parmi lesquels quatre sont membres des Frères musulmans syriens et six sont des islamistes indépendants. Il n'a toujours pas élaboré de programme ni précisé la nature du régime qu'il souhaite mettre en place en cas de renversement de Bachar Al Assad."En Syrie, le courant islamiste est modéré", assure Omar Idlibi, des Comités de coordination locale.


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